Jean-Baptiste Vidal : Du saumon de Russie au bar breton, portrait d’un guide au parcours unique

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Certains pêcheurs à la mouche rêvent de destinations mythiques. Jean-Baptiste Vidal, lui, les a toutes guidées. De la Ponoï en Russie à la Bolivie, en passant par la Patagonie et Los Roques, ce Breton d’adoption a vécu ce que beaucoup considèrent comme inaccessible. Aujourd’hui installé en Bretagne, ce guide de 40 ans continue de vivre sa passion avec la même intensité qu’à ses débuts : « Je suis encore comme un gamin au bord de l’eau. »

Le déclic : « Et au milieu coule une rivière »

Comme beaucoup de pêcheurs à la mouche de sa génération, l’histoire de Jean-Baptiste commence en 1992 avec le film culte de Robert Redford. « Quand on est sorti du cinéma, mon père m’a dit : un jour on ira pêcher dans le Montana », se souvient-il. L’été suivant, la promesse est tenue. Direction l’Ariège, où dans un petit magasin de Tarascon appelé « La Détente », JB achète son premier ensemble à mouche.

Mais c’est la rencontre avec Jean-Pierre Navarro, le vendeur qui lui offre un cours de lancer en échange de l’achat, qui va vraiment lancer sa carrière. « Ce monsieur m’a appris les bonnes bases, le bon geste. Ça a été le début d’une aventure incroyable qui a complètement changé ma vie. »

De 1998 à 2010, Jean-Baptiste aura la chance de rejoindre son père régulièrement dans le Montana, pêchant sur les rivières mythiques du film, notamment la Galatine River dans le parc du Yellowstone.


Un parcours international hors norme

L’opportunité d’une vie dans un jacuzzi islandais

En 2005, alors qu’il travaille pour la fédération de pêche de Quimper, JB part en Islande. C’est là que sa carrière de guide international va débuter de manière pour le moins inattendue. Dans un jacuzzi, en compagnie d’un Argentin, la discussion dérive naturellement vers la pêche. Les deux femmes présentes vont se coucher, mais eux continuent à parler poissons.

« Il a vu en moi un passionné, quelqu’un avec des étincelles dans les yeux. Il m’a dit : est-ce que tu veux venir guider en Argentine pour moi ? »

Noël Polak est manager de lodges pour Nervous Waters, l’une des plus prestigieuses entreprises de pêche au monde. Cette rencontre va ouvrir à JB les portes des destinations les plus mythiques : l’Argentine pour les truites de mer géantes et le dorado, puis la Russie sur la légendaire Ponoï, et même la Bolivie.

La Ponoï : l’Eldorado du saumon

« C’est juste impossible de ne pas prendre un saumon », affirme JB en parlant de cette rivière perdue au milieu de la toundra russe, accessible uniquement en hélicoptère. Les chiffres donnent le vertige : 34 saumons par pêcheur par semaine en moyenne, avec des remontées estimées entre 80 000 et 120 000 poissons. En une saison, plus de 10 000 saumons capturés.

« En cinq mois de guidage sur la Ponoï, je n’ai pas été une seule fois bredouille. »

Mais c’est en Bolivie, à Tsimani Lodge, que JB vivra certainement « une des expériences les plus incroyables » de sa vie. Il sera le seul guide non-argentin de cette structure créée par son mentor Noël Polak, dans des eaux cristallines peuplées de dorados.


Le retour en Bretagne et la pêche du bar à vue

En 2010, la mort de son père et la naissance de sa fille changent la donne. JB met fin à sa carrière internationale et s’installe comme guide indépendant en Bretagne. Il passe de la meilleure rivière à saumon du monde à « l’endroit où il y a peut-être le moins de saumons au monde », avec des rivières de 5-6 mètres de large.

Paradoxalement, c’est ce défi qui le passionne : « C’est presque plus incroyable de prendre un saumon dans une petite rivière bretonne que dans une rivière qui fait 100 mètres de large où il y a des saumons qui sautent toute la journée. »

Le bar à vue : son nouveau terrain de jeu

Aujourd’hui, sa pêche préférée est le bar à vue. « Parce que le bar me demande de me poser des questions en permanence. Il va falloir que je continue à rentrer chez moi, essayer de dire mais c’est le crabe qui va pas, c’est le poser, c’est le machin, c’est le truc. »

Cette pêche est pour lui l’une des plus exigeantes : « Il faut être très rapide, très précis et les poissons se déplacent en permanence. » Ses clients ont entre 5 et 25 opportunités par jour, parfois 30-40 bars qui passent dans les meilleures journées. Mais le taux de réussite reste faible, ce qui fait tout l’intérêt de la technique.

Pour JB, l’observation est primordiale. Il a même prélevé quelques bars pour étudier leur contenu stomacal : « Dans les estuaires où je pêche, les bars ont entre 5 et 30 crabes dans le ventre. » D’où son obsession pour le montage de crabes artificiels qu’il a lui-même perfectionnés au fil des années.


Le permit de sa vie : une histoire épique

Demandez à Jean-Baptiste quel est son plus beau souvenir de pêche, et il vous racontera l’histoire de son permit de 35-40 livres à Cuba, à Cayo Coco. Une aventure digne d’un roman.

Tout commence mal : pas de bagages à l’arrivée, semaine de pleine lune (la pire période pour le permit), tourista. Un client qui lui fait la même blague toute la semaine sur son sac perdu. Les permits se font rares et refusent obstinément toutes ses mouches.

Le dernier jour, alors qu’il ne reste qu’une heure de pêche, le guide lui crie « Palometa, Palometa ! » – un énorme permit en train de se nourrir, queue hors de l’eau. Mais JB attend, refuse de lancer alors que le guide insiste. Le poisson est de dos, le shot n’est pas bon.

« J’attends que le permit se tourne. Il pouvait très bien ne pas tourner et s’en aller. Pour moi le shot n’était pas bon. »

Le permit tourne. Trois lancers, la mouche se pose comme dans un rêve. Le poisson la suit, se baisse, prend. Combat épique d’1h05 sur un bas de ligne en 16 livres (une ligne ultra-fine), avec une canne qui n’est même pas la sienne. Le guide veut attraper le fil, JB refuse catégoriquement.

Finalement, dans une épuisette cassée et trop petite, le guide parvient à plaquer le poisson sur le bateau. « Quand il s’enlève de dessus le poisson, je vois le poisson en entier. Je réalise que j’ai pris le permit de ma vie. Je ne pense pas que je reprendrai un permit de cette taille-là. »

Dans l’eau, JB ne veut plus le lâcher. Il lui fait des câlins. Ce poisson, il se l’est fait tatouer sur le bras – son seul et unique tatouage.


Le métier de guide : passion et réalisme

« Je ne pêche pas, je guide »

Pour JB, être guide de pêche ne signifie pas passer ses journées une canne à la main. « Le métier de guide de pêche, c’est pêcher par procuration à travers ses clients. C’est transmettre un savoir-faire, transmettre des compétences. »

Il vit littéralement les émotions de ses stagiaires : « J’ai des montées d’adrénaline pour eux. Il y a un bar qui arrive, je suis au taquet, je lui explique, il est là, tu l’as vu, boum, lance ici, fais ci fais ça et mon palpitant s’énerve. »

Les réalités économiques

Installé à son compte depuis 2014, JB ne cache pas les difficultés du métier. « Il me faut au minimum 120 journées » de guidage par an pour vivre correctement. Il en fait entre 120 et 150, ce qui représente environ un jour sur trois sur l’année, mais beaucoup plus pendant la saison (fin mars à fin octobre).

« On a toujours un stress de se dire est-ce que je vais gagner ma vie cette année », confie-t-il avec honnêteté. Le métier implique aussi de gérer la comptabilité, le marketing, les réservations – loin de l’image romantique du pêcheur professionnel.

Ses conseils aux futurs guides

« Il ne faut pas croire que quand on est guide de pêche, on pêche. Il faut se dire : j’ai déjà suffisamment pêché dans ma vie, maintenant je veux faire pêcher les autres. »

Le marché français est petit, la concurrence importante. « C’est un métier qui est relativement compliqué. En France, on vit des Français. On n’a pas énormément d’étrangers qui débarquent chez nous pour venir pêcher. »

Mais pour les passionnés prêts à s’investir : « C’est un métier passionnant. Regardez mon bureau, c’est un bel estuaire, c’est une belle rivière. Tous les jours je suis au bord de l’eau avec des passionnés. »


La pêche à la mouche : technique et philosophie

Montage de mouches : l’art de l’imitation

Pour JB, le montage de mouches n’est pas qu’une préparation technique, c’est déjà de la pêche : « Pendant que je suis en train de fabriquer ma mouche, je suis déjà en action pêche. Je m’imagine ce qu’il va se passer. »

Il emporte toujours du matériel de montage en voyage. Son plus gros bonefiche de Nouvelle-Calédonie ? Pris avec une petite crevette olive montée sur place après observation. Son plus gros permit ? Avec une mouche créée pendant le séjour. En Bolivie, c’est grâce à un indigène qui lui montre un fruit que mangent les pacous qu’il invente une imitation et devient le premier à prendre ces poissons en sèche sur ce lodge.

Élitiste, la pêche à la mouche ?

« Cette vision élitiste a énormément changé, ça s’est démocratisé. Une canne à mouche, on peut trouver des ensembles moins chers que n’importe quelle canne de qualité pour pêcher au leurre. »

Le vrai frein reste la technique de lancer, qui demande du temps et de la pratique. Mais pour JB, c’est justement ce qui fait la richesse de cette pêche : « L’avantage de la pêche à la mouche, c’est que même les journées où la pêche n’est pas bonne, on continue à progresser dans le lancer. »

Sèche vs nymphe : un débat dépassé ?

« Il y aura toujours ce clivage », reconnaît JB. Mais pour lui, se limiter à la pêche en sèche aujourd’hui est une impasse : « Si tu veux prendre des poissons en sèche uniquement, tu ne feras pas une belle saison. Les poissons gobent de moins en moins. »

La raison ? Les changements climatiques modifient les éclosions d’insectes. Les eaux plus chaudes, les périodes de sécheresse, les crues violentes – tout cela impacte les populations d’invertébrés aquatiques. « Il y a moins d’insectes qu’avant donc s’il y a moins d’insectes il y a moins d’éclosions. »


Une vision lucide sur l’avenir

Le saumon en France : « Aucun espoir »

Quand on lui demande s’il a encore de l’espoir pour le saumon en France, Jean-Baptiste ne mâche pas ses mots : « Pas du tout. Aucun espoir. »

Pour lui, fermer la pêche en rivière ne changera rien car le problème se situe en mer : « Ce n’est pas en rivière qu’on a réalisé les prélèvements qui ont mis en danger les populations de saumon. C’est en mer, la surpêche industrielle de leur nourriture, les modifications des courants marins dues à la fonte des glaces. »

Les chiffres sont parlants : les quotas en rivière n’étaient même pas atteints ces dernières années. « On laissait suffisamment de saumon remonter et se reproduire. Le problème est ailleurs. »

L’adaptation nécessaire

Face aux bouleversements climatiques, JB reste pragmatique : « Il va falloir évoluer et pas avoir les œillères. Il n’y a plus de truite, j’arrête la pêche ? Non ! Les gros chevennes, les carpes, les aspics – ce sont des poissons intéressants à pêcher aussi. »

Son message est clair : « Nous pêcheurs, il nous reste encore des années à vivre. J’espère bien continuer à m’adapter et faire avec ce qu’il y aura dans nos cours d’eau. »


« Enjoy Fishing »

C’est le nom de son entreprise, mais c’est surtout sa philosophie de vie. « Prenez du plaisir à la pêche. Allez à la pêche tout simplement. »

Pour Jean-Baptiste, la pêche est bien plus qu’une activité de loisir : « La pêche, c’est tout l’inverse de s’asseoir sur un fauteuil. C’est se déplacer, c’est faire du sport, c’est marcher, c’est observer, c’est sentir, c’est se sentir vivant, c’est analyser les choses. »

C’est cette connexion à la nature qu’il défend avec passion : « On a besoin de ce contact avec la nature, que ce soit la chasse, la pêche. Cette nature, c’est elle qui nous fait vivre. Si on continue à la dégrader, un jour elle va nous le faire payer. »

Après 31 ans de pêche à la mouche et 22 ans comme guide professionnel, Jean-Baptiste Vidal garde intact son émerveillement d’enfant. Des rivières mythiques de Russie aux estuaires bretons, des permits caribéens aux bars méfiants, il continue d’apprendre, de transmettre et surtout, de prendre du plaisir.

Car au fond, c’est bien là l’essentiel.