Interview de Numa Marengo, de la carpe au barramundi : un voyage initiatique à travers les émotions de la pêche

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Il existe des moments dans la vie qui marquent une rupture invisible mais décisive. Des instants où le monde semble basculer dans une autre lumière, où un geste anodin devient révélation. Pour Numa Marengo, figure incontournable du monde halieutique français, ces instants ont pris la forme de deux poissons : une carpe pêchée dans l’enfance et une barramundi arrachée aux eaux troubles du Sri Lanka. Deux prises séparées par trente ans, mais unies par un même fil : l’émotion brute de la pêche.

La première carpe : un choc esthétique et fondateur

« Ce n’est pas le plus gros poisson de ma vie, mais c’est peut-être le plus important. » C’est ainsi que Numa évoque sa première carpe, pêchée alors qu’il n’était qu’un enfant hospitalisé pour une appendicite. Alité et privé d’activités, son père lui apporte un lot de magazines de pêche. Dans l’un d’eux, une image de carpe lui saute au visage. Il n’y a pas encore touché une seule, mais l’esthétique de ce poisson opère un coup de foudre.

À une époque où les poissons se font rares, où la pêche à la mouche reste élitiste, et où l’offre commerciale est pauvre, ce jeune garçon décide qu’il attrapera une carpe. Il tente tout : des bouillettes faites maison aux pommes de terre montées en « hair rig », inspiré des Anglais et des Français précurseurs.

Un jour, son père l’amène sur un spot de chasse à canards où, selon lui, « les carpes viennent manger les graines ». Une canne longue, un montage de fortune, et une prise miraculeuse. Trois kilos. Ce n’est pas un record, mais un basculement intérieur. Ce jour-là, la pêche devient un langage.

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La barramundi du Sri Lanka : retrouver le frisson perdu

Trente ans plus tard, Numa est un professionnel reconnu. Il a voyagé dans le monde entier : Mongolie, Brésil, Norvège. Il connaît les plus grands fleuves, les poissons trophées, les campagnes publicitaires, les salons et les podiums.

Mais c’est au Sri Lanka, avec son ami japonais Ryusuke Hayashi, que survient un second miracle. L’objectif du voyage est clair : la barramundi, un poisson emblématique des estuaires tropicaux. Après plusieurs jours infructueux, il lance un jerkbait dans une mangrove. Et là, la touche.

La canne se plie, le frein siffle, le poisson plonge dans les racines… Mais ce n’est pas le combat qui compte. C’est l’après : une fois le poisson relâché, Numa tremble. Impossible de faire un nœud, impossible de relancer. Il est submergé d’émotion, comme un enfant. « J’ai compris à ce moment-là pourquoi je pêchais encore. »

Ce que la pêche révèle vraiment

Pour Numa, la pêche n’est pas une course au trophée. C’est la manière de prendre qui compte. « Je préfère faire trois poissons comme je l’ai décidé, que vingt par hasard. » Une philosophie qui va à contre-courant de la performance, du tableau de chasse, du « qui a la plus grosse ».

Il évoque le concept de « prise choisie » : celle que l’on décide de faire à sa manière, avec ses montages, son approche, son timing. « Il y a quelque chose de très personnel, presque artistique, dans le fait de pêcher à sa façon. »

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Deleuze, Tom Sawyer et la vérité du pêcheur

Numa cite le philosophe Gilles Deleuze, qui explique que ce n’est pas l’objet qui compte, mais l’événement qu’il permet. « Une fille n’achète pas une robe, elle achète l’histoire qu’elle veut vivre avec. »

Pour lui, la pêche fonctionne pareil. Ce n’est pas le poisson, c’est le souvenir qui se tisse autour. Un lever de soleil, un silence partagé, une rivière glacée, une bouillette ratée… C’est la narration que l’on construit autour d’une touche.

Il parle aussi de son enfance comme d’une période « à la Tom Sawyer » : pêche à la main, pièges bricolés, aventures improvisées. Ce retour aux sources est aujourd’hui plus fort que jamais. « Je n’ai plus envie de pêcher pour impressionner. J’ai envie de pêcher pour ressentir. »

La pêche comme chemin de vie

Numa le confesse : avec les années, il s’est éloigné du « rendement » et du « record ». La pêche est devenue un miroir. Un révélateur. « Le vrai pêcheur, c’est celui qui accepte de ne pas pêcher parfois. » Il assume un discours à contre-courant du marketing de masse. Il déconstruit le mythe du pêcheur « méritant ». Pour lui, le meilleur pêcheur est souvent celui qui a le plus de temps.

Il encourage à revenir à l’émerveillement premier. À ne pas se juger sur les résultats, mais sur l’émotion. À ne pas courir après les chiffres, mais après le plaisir sincère. Une bouillette maison ratée a parfois plus de valeur qu’un leurre à 30€, simplement parce qu’elle raconte une histoire.

Conclusion : pêcher moins pour pêcher mieux

Le témoignage de Numa Marengo est une ode à la lenteur, à la sincérité, à la mémoire. Entre deux mondes – celui de l’industrie et celui de l’enfant rêveur – il trace un chemin où chaque touche redevient un frisson.

Alors que la pêche devient de plus en plus médiatisée, urbanisée, technicisée, il rappelle une évidence oubliée : « Ce n’est pas le poisson qui compte, c’est la manière dont on le prend. »

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