« Faut tuer le silure parce qu’il déséquilibre la nature » : cette phrase, Cédric (Sombre Pêche) l’a entendue des centaines de fois. Mais qu’en est-il vraiment ? Entre études scientifiques, débats passionnés et idées reçues, plongeons dans l’une des controverses les plus brûlantes du monde de la pêche.
Le témoignage qui interroge
Lors de notre interview, Sombre Pêche posait une question dérangeante : comment expliquer qu’il y ait eu une augmentation significative des poissons migrateurs dans les passes à poissons pendant le confinement, alors que les silures, eux, n’étaient pas confinés dans leurs grottes ?
Si cette affirmation spécifique est difficile à vérifier scientifiquement, elle soulève une question légitime : la baisse de 60 à 75% de l’activité de pêche professionnelle pendant le confinement a-t-elle eu un impact plus important sur les populations de poissons que la présence du silure ? Pêche et Covid-19 – Ifremer

Ce que nous dit la science : un consensus… nuancé
Sur les populations de poissons d’eau douce
La plus grande étude réalisée à ce jour apporte des résultats qui peuvent surprendre. Une analyse de l’ONEMA portant sur plus de 10 000 stations échantillonnées sur toute la France ne démontre pas d’impact du silure sur la biomasse, la densité, la richesse spécifique et l’équilibre des peuplements piscicoles (hors migrateurs) dans lesquels il est établi. Étude sur le Silure 2017
Plus surprenant encore, les stations occupées par le silure présentent en moyenne une richesse spécifique supérieure à celles sans silure. Un paradoxe qui mérite réflexion.
Aujourd’hui, des études plus poussées pour certains cours d’eau et un bilan général de son impact potentiel sur les poissons des petits et moyens cours d’eau, dressé à l’échelle nationale à partir de plus de 25 ans de données de pêche de l’Onema, indiquent qu’à l’exception de quelques rares cas, le silure ne semble pas avoir d’impact majeur sur la richesse spécifique, la densité et la biomasse des poissons. Une espèce en expansion : le silure glane | SHND
Le cas épineux des poissons migrateurs
C’est sur ce point que le débat se concentre. On constate que là où ils sont encore présents, le silure apprécie particulièrement les poissons migrateurs anadromes. Dans les années 2000, l’écologie fonctionnelle commence à mieux mesurer les effets écologiques de prédateurs introduits et du régime alimentaire du silure, que certains jugent en France préoccupants pour la biodiversité.
Deux études apportent des éclairages complémentaires :
Dans le Lot (2015) : La consommation de poissons anadromes par le silure serait le fait de l’opportunisme. Les plus gros silures consomment plus souvent ces poissons parce que ces derniers sont plus gros. Silure glane — Wikipédia
Dans la Garonne (2018) : Il y a bien une spécialisation d’un certain nombre de silures pour la prédation sur les poissons migrateurs, au niveau des barrages et notamment dans leurs passes à poissons, du fait de la grande facilité de capture des proies à cet endroit. Silure glane — Wikipédia
La nuance est importante : ce n’est pas le silure en général qui pose problème, mais certains individus dans des situations spécifiques (barrages, passes à poissons) où les migrateurs sont concentrés et vulnérables.
La cohabitation avec les autres carnassiers
Bien que le brochet et le silure occupent une niche trophique très proche, l’arrivée du silure ne semble pas occasionner de dysfonctionnement au sein d’un écosystème à condition que ce dernier possède une ressource et une production suffisante en espèces fourrage. Sandre et silure n’exploitent pas les mêmes catégories de proies, celles du sandre étant plus petites que celles du silure. Étude sur le Silure 2017
Un rôle écologique complexe à ne pas négliger
Loin d’être seulement un prédateur, le silure glane est en réalité un acteur écologique majeur en tant que super-prédateur dont le rôle dépasse largement la simple consommation de proies : il structure et régule les écosystèmes aquatiques. Le silure : un régulateur au service des écosystèmes
En se nourrissant de carpes, de brèmes ou encore de barbeaux, il limite la domination de ces espèces qui tendent parfois à s’imposer en biomasse. Dans le lac Majeur en Italie, les silures s’attaquent à des espèces exotiques comme les écrevisses américaines ou les bivalves Corbicula, participant ainsi à la régulation d’invasifs. Le silure : un régulateur au service des écosystèmes
Le statut légal : toujours pas « nuisible »
Contrairement à ce que beaucoup pensent, depuis la loi biodiversité de 2016, il faut parler d’espèce susceptible d’occasionner des dégâts. Au niveau de tout le territoire français, deux espèces seulement sont concernées : la perche-soleil et le poisson-chat. Espèces envahissantes, nuisibles et susceptibles d’occasionner des dégâts : quelles différences ? – Peche et Poissons | Carnassiers, carpe, truite, mer, coup… Toute l’actu de la pêche
Le silure ne figure pas sur la liste des espèces susceptibles de provoquer des déséquilibres biologiques. En 2006, une étude n’a pas conduit à préconiser le classement du silure comme espèce susceptible de provoquer des désordres biologiques, mais a conseillé l’adaptation des plans de gestion piscicole. Classement nuisible du silure
Pourtant, en juillet 2025, le ministère de la Transition Écologique a pris la parole au sujet du silure, annonçant avoir bien pris en compte le fait que le silure avait un impact incontestable sur les milieux aquatiques et notamment sur les poissons migrateurs. Le no-kill bientôt interdit pour la pêche du silure qui serait classé nuisible? – Chasse Passion Le débat n’est donc pas clos.

Un projet européen pour trancher
Face à ces controverses, l’Europe a lancé une initiative ambitieuse. Le projet européen LIFE PREDATOR, lancé en 2022 pour une durée de cinq ans avec un budget de 2,85 millions d’euros, rassemble l’Italie, le Portugal et la République Tchèque pour étudier précisément l’impact du silure sur la biodiversité aquatique. Le silure : un régulateur au service des écosystèmes
Loin de chercher à diaboliser l’espèce, ce programme vise à mieux comprendre son rôle, à mesurer ses effets sur les écosystèmes et à fournir des clés de gestion adaptées aux différents contextes. Le silure : un régulateur au service des écosystèmes
Médias vs Science : un fossé qui persiste
Une étude particulièrement éclairante a analysé le traitement médiatique du silure entre 2003 et 2015. Bien que l’on puisse constater une évolution des discours journalistiques, les débats se poursuivent sur l’ensemble de la période étudiée. En dépit des constats empiriques du domaine scientifique, certains acteurs persistent à imputer les désordres écologiques aux populations de silures. Analyse du traitement médiatique du silure glane (Silurus glanis), une espèce au centre de controverses
Cette focalisation sur les espèces envahissantes est le témoin d’une incrimination qui se base principalement sur leur caractère allochtone. Analyse du traitement médiatique du silure glane (Silurus glanis), une espèce au centre de controverses Autrement dit : parce qu’il n’est pas d’ici, il est forcément coupable.
L’avis de Sombre Pêche : l’expérience de terrain
Pour Cédric, qui pêche depuis 6 ans dans un étang clos réputé pour ses gros silures :
« C’est un endroit en milieu clos où il y a des gros silures. Pourtant, on fait toujours autant de brochets, voire même plus tous les ans. On constate une reproduction, les perches, les brochets, les carpes, tous les poissons cohabitent tous ensemble. Je ne vois pas en 6 ans, et j’ai des gens qui y pêchent depuis 15 ans, ils ne constatent pas le fait que le silure crée le déséquilibre dans le plan d’eau. »
Son analyse rejoint celle de nombreux scientifiques : le rôle régulateur du silure dépend fortement du contexte écologique dans lequel il évolue, ce qui impose une analyse fine pour comprendre pleinement son impact. Le silure : un régulateur au service des écosystèmes
Le problème des barrages
Si le silure pose problème quelque part, c’est bien au niveau des obstacles artificiels. Les modifications d’habitat créées par les barrages dans les retenues, avec de faibles vitesses d’écoulement, ralentissent les passages, augmentent les temps de résidence, concentrent les prédateurs ainsi que leurs proies potentielles et créent un stress qui peut augmenter la vulnérabilité aux prédateurs. Restaurer et garantir la libre circulation
Faut-il alors pointer du doigt le silure… ou les dizaines de barrages qui fragmentent nos cours d’eau et créent des pièges à poissons migrateurs ?
Alors, nuisible ou pas ?
La réponse scientifique est claire : ça dépend.
OUI, le silure peut avoir un impact localisé sur les poissons migrateurs dans certaines situations (barrages, passes à poissons).
NON, il ne semble pas provoquer de déséquilibres généralisés sur les populations de poissons d’eau douce.
OUI, certains individus se spécialisent dans la prédation des migrateurs.
NON, tous les silures ne sont pas des « tueurs de migrateurs ».
Comme le souligne Cédric : « Aujourd’hui, le silure n’est officiellement pas classé nuisible. Si demain il l’est, il le sera nuisible et je ne pourrai pas contredire ça. Mais aujourd’hui, le fait est qu’il n’est pas classé nuisible. Pourquoi je dirais à tout le monde, si il est nuisible ? Je me sentirais pas bien. »
Et si la vraie question était ailleurs ?
Pendant le débat sur le silure, les vrais problèmes passent souvent au second plan :
- La pollution des cours d’eau
- Les barrages qui fragmentent les corridors écologiques
- Le réchauffement climatique qui modifie les écosystèmes
- La surpêche professionnelle
- La destruction des habitats de reproduction
Le silure n’est pas un simple fléau, pas plus qu’il n’est un totem intouchable. Sa présence nécessite une observation rigoureuse, une concertation entre pêcheurs, scientifiques et autorités, et une capacité à adapter les politiques de gestion à l’échelle des territoires. Silure : danger pour la biodiversité ou richesse halieutique ? – Chasses éternelles
Conclusion : vers une gestion différenciée
Plutôt que de chercher un coupable unique et facile, les experts appellent à sortir d’une approche uniforme pour privilégier des plans de gestion différenciés, inspirés des principes de gestion adaptative. Cela suppose une meilleure coordination entre les agences de l’eau, les fédérations de pêche, les DREAL et les collectivités locales. Le silure : la fin du no-kill pour le géant des rivières françaises ? – Aquabase
Le silure est là. Il fait partie de nos écosystèmes depuis des décennies dans certaines régions. La question n’est peut-être plus « faut-il le supprimer ? » mais plutôt « comment gérer intelligemment sa présence en fonction des contextes locaux ? »
Car comme le dit si bien Cédric : « C’est quoi ça ? On prend un silure de 2 mètres 50, on le découpe ou on le laisse mort sur la berge ? C’est compliqué quand même cette histoire… »
Sources scientifiques :
- ONEMA : Étude nationale sur plus de 10 000 stations (données sur 25 ans)
- Guillerault et al., 2015 : Étude dans le Lot sur le régime alimentaire du silure
- Étude 2018 : Spécialisation des silures dans la Garonne
- Bodt, Santoul & Lefebvre, 2017 : Analyse du traitement médiatique (VertigO)
- Projet LIFE PREDATOR (2022-2027) : Étude européenne en cours
- Bretagne Grands Migrateurs, 2017 : Étude sur l’impact du silure en Bretagne
La science avance, les idées reçues persistent. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Le silure n’est pas un simple fléau, pas plus qu’il n’est un totem intouchable. Sa présence nécessite une observation rigoureuse, une concertation entre pêcheurs, scientifiques et autorités, et une capacité à adapter les politiques de gestion à l’échelle des territoires. Silure : danger pour la biodiversité ou richesse halieutique ? – Chasses éternelles